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Poésies Jean-Luc OTT

CAÏN

« Ne saurai-je, âme, jamais te calmer ? »

Caïn,

Giuseppe UNGARETTI

 

 

EXTRAITS

 

III

 

L’aube se dépliait immense

comme un oiseau de cirque

sur des échasses de chair.

 

Que trouvera t-on dans l’odeur

fade d’asies mouillées pénétrant

inaltérable comme tes yeux ?

 

Et ce long rêve qui n’en finit pas

dans la répétition à l’infini

comme un dieu qu’on épelle.

 

Le même instant irréconciliable

inexorablement les mêmes gestes

cognent pour ramener à la vie

cette tête au long cou

qui retombe en silence.

 

IV

 

Cet été du passé se détache

comme un soleil surexposé

pour ne laisser que douleur en cet endroit

où tu n’es plus.

 

Absorbé comme un fleuve

va dans la mer je reste

meurtri dans l’absence de toi

et l’âme perdue

mutilée par le temps

non par la mémoire.

 

Le chemin tracé

dans la campagne inoubliée

où rien ne ressemblait à la mer

sinon la peur.

 

VI

 

Désuète est la coupe de ta chemise

et ton pantalon est trop long

même tes cheveux n’ont pas la longueur requise

pour faire de toi quelqu’un de ce monde.

 

Il y a tant d’années que tu n’es plus.

 

Avait-on le souci des insectes

des oiseaux ou des abeilles

ou de ces bêtes qu’on trimballe

en col de manteau ?

 

Il n’y a plus de neige

l’hiver n’existe plus qu’en moi

dans sa froidure intemporelle.

 

C’est ma blessure qui fait signe

comme une marque sur le front.

 

VII

 

Qui peut croire en moi ?

Je n’ai pas voulu

cette défaite mienne

comme une main décharnée.

 

Un étang vert aux mouches rêveuses

tes jambes nues, ballantes

sur la dragueuse échouée,

C’est l’été des soifs

des vies lentes arrêtées.

 

Après tant d’années

rien n’existe plus

et tandis que j’expie encore et encore

ton poids asséché par les soifs

se balance comme poussière douce

sur le reflet vert de l’eau.

 

VIII

 

Que restera-t-il des soleils de juillet

éteints comme des corps délaissés

sur les grèves, amassés dans la mémoire ?

 

Ta jeunesse mienne

dans ces doigts tortionnaires

fatigués de n’avoir pu t’ouvrir le coeur.

 

Qui ne dit mot ne consent qu’au silence

Rien ne sera pareil

même si l’été indéfiniment se poursuivait

même si les mots se pliaient à mon ardeur.

 

X

 

Je vis un temps déchu

d’immense obscur

déshabité de tous (même du silence)

où tout a trahi

 

Quelle forêt donnera ce feu

quel ferment de désolation

jadis et demain.

 

Quand tout reprend feu

sans crainte de brûler

j’espère encore

L’été torride dont la terre

ne se remet pas

Ton silence d’éternité qui

fait oublier de vivre.

 

XI

 

Comment lutter le combat est inégal

mes mains pleines d’amour ne valent pas

les promesses de descendance.

Tu ne viendras plus

il faut se rendre à l’évidence.

 

Le ciel brûle, les couleurs brûlent

l’été a brûlé tout ce qu’il a pu

pour qu’il ne reste qu’effarement.

Les ferments sont comme des sables

qui glissent entre mes doigts pour d’autres.

Je ne te toucherai plus

j’ai fait ce qu’il fallait

pour ne plus t’attendre.

 

XII

 

Là sont tombées d’autres âmes

qu’on sent dans le mouvement des feuilles

quand veut bien s’animer une brise.

 

Des cris d’enfants s’égaillent au lointain

rappelant que la joie existe.

 

Quand viendra l’heure de l’amour

les choses seront rouges

du feu orange du ciel

 

L’incendie des couleurs

aura vaincu le doute

Que de mains et de bouches

viendront à naître.

 

XIII

 

Et quant à la nuit tombée

quand, seuls, dans la nuit

le ciel immensément témoin

devient protecteur,

 

Je t’accompagne plein de fièvre

et encore tu me raccompagnes

ignorant ou complice,

car il était impossible de désassembler

ce fatras de tendresse,

car il devenait impossible de perdre

l’onction des espaces en suspens

 

Puis à bicyclette t’avale la nuit

là, où, glacé je reste seul.

 

XIV

 

Si de mémoire tu n’as pas

pour mieux survivre

aux larmes versées, aux douleurs tues

aux choses détruites

à quoi bon mon souvenir ?

 

La poule d’eau a le bec qui saigne

et les pattes d’un géant. Son chant

est trop familier pour disparaître.

 

Quand la nuit se glisse sur l’étang

il me faut partir.

 

Mon œil a tout vu

des choses du monde

même ce qui en toi

tient de la fragilité

l’âge où tout bascule.

 

Tu as étouffé l’amour en toi

il y a bien longtemps

Puis, au seuil du jour, c’est en vain

que tu quémandes la paix

quand le chant de l’oiseau

s’est perdu dans la nuit.

 

XIX

 

 

Alors que tu te sauvais

comme une proie légère

comme un ballon échappé

redésole les forêts

brûle les mémoires

et les biens achève d’achever

n’élude rien

au sacrifice de la vie

pour le néant.

 

XX

 

Où es-tu ?

Tu sais pourtant que ma blessure

doit vivre jusqu’à la nuit des temps

 

Je te querelle, je te cherche et te poursuis

partout où le rêve me harcèle.

Je n’obtiendrai rien de toi

je le sais tout comme est vide le ciel

et le verbe au commencement.

 

Je te connais comme si je t’aimais

depuis toujours dans la nuit,

dans le jour, hier et demain

dans les arbres je t’effeuille, te déshabille,

et te plonge dans la combe

 

Mais tu n’es plus innocent

puisque tu m’as trahi.

 

XXI

 

Nous n’avançons pas

malgré le pas léger de course

le sourire rayonnant

qui va

 

Et la fraîcheur du soir éveille

les senteurs de tendre

les langues sont brouillées

comme par volonté

se fait pierre le moindre souffle

 

Le naufrage ne s’annonce pas

dans la douceur du soir

Tu es là et le temps

prend une durée de monde infinie.

 

XXII

 

L’étang me regarde comme un animal docile

l’oeil vert et profond

c’est ton regard qui m’observe.

 

Donne moi encore une vie

pour que je puisse ouvrir ton âme

frère, et pleurer mon geste.

 

La terre est blessée tout autour

d’un pullulement d’hommes

Si les dieux l’ont voulu

l’homme l’a fait

espèces en chaos, souffle insane

 

Insaisissable, sur la rive j’ai croisé ton destin.

 

XXIII

 

Tes mots sont là quelque part

dans leur incomplétude

ils rêvent d’être.

 

Je sens en moi ta langue

fourmiller des paroles oubliées

ta voix à peine éveillée à l’intime

 

Et j’entends d’anciennes histoires

de celles qui l’été couvrent les champs

d’insectes bavards de lumineuses

étoiles et le ciel est notre refuge.

 

Il ne viendra rien à ton secours

 

Je suis apeuré par la plénitude de l’instant

qui me laissera profondément seul

 

Tout m’a été donné en cet instant.

 

XXIV

 

Je disparais en toi sans te contenter

toi qui n’embrassas rien de moi

 

Tu m’absorbes sans me causer de gène

me broies, me désintègres,

toi le très pur, l’aimé de dieu.

 

Mais tu restes froid à mes mains brûlantes

comme je l’étais à tes mots couverts

 

Ne peut-on une fois pour toute

s’entendre devant la mort

 

Je reste là encore et encore

et parfois il me semble être devenu toi

par le regard, par la bouche, par les mots.

 

XXV

 

Eveille toi d’entre les vivants et les morts

Donne moi raison d’espérer

 

Devenu tout autre par mes silences

Reviens aux amours perdues.

 

Je sais la patience des forêts

quand un vent d’est ravage les branches

et la mémoire des eaux

aux fluides contacts

mais je ne sais pas survivre

dans ta nuit.

 

Quand un cri d’hirondelle supplicié

perceptible de moi seul,

fend mon âme je regarde

mon double se perdre dans le passé

pour baiser tes mains brunes

aux ongles rongés jusqu’au sang.

 

XXVI

 

Comme les neiges fondent

et délivrent leurs contes

c’est mourir un peu

que de livrer sa peine.

 

Tu n’es jamais revenu que je sache

où sont demeurés nos mots

 

Parler à voix basse comme autrefois

était la condition pour que tes lèvres

livrent leur sort.

 

J’entends alors l’appel de l’été, le velours de la terre

j’entends germer les blés encore verts

des promesses de mai, les chevaux ailés

 

Toi si libre déjà

alors que j’écoutais très fragile,

et comme affolé, j’attendais un geste

apaisant

 

Tu es entré dans mes blessures

et comme une mouche as pris corps.

 

XXX

 

1. La terre gorgée d’eau expulse

tout d’un coup ses plaies

d’un vert si tendre

Toute en boutons et timide de surcroît

le sourire d’innocence

et fraîche encore l’eau

cherche les replis de la terre repue

Partout le calme de la gestation

la violence des couleurs

le bruit sourd des nuages.

 

2. Nuits bavardes et savantes,

tu fus toujours trop brûlant

Midi, il n’est que certitude

des violences ourdissent

sous l’accablement

puis avec ton départ

tout se tait.

 

3. La grâce des automnes

les jaunes pourrissant

en d’infinies nuances

les oiseaux s’assemblent

il y a tant de cris

tant d’ailes

que le monde s’élance et se déchire

dans un enfièvrement de lumière.

 

4. La faim rapproche les animaux des villes

les fait paraître plus nombreux

le bleu du ciel est électrique

il faut du courage

pour rompre le silence

tant la mort domine.

 

XXXI

 

L’été n’est plus la saison qui brûle

de soleil en soleil par moi-même

je touche au seuil au réel

ma douce fièvre refroidie

dans cette solitude

a perdu le goût de te convertir.

 

XXXVII

 

Et les mots de ta bouche

tombent au fond de l’eau

doucement comme un poisson se couche,

comme entremêle la nuit le jour

ses joncs ouatés de solitude.

Ils persistent à ne rendre audible

que le son de ta voix omniprésente,

confuse, pleine d’un sable

illimitant les jours.

 

Comme des yeux sur mes yeux

se posent pour boire mon âme.

 

XXXXVIII

 

Tout s’en ira un jour

Que saura t-on des ponts nocturnes

qui enjambent le ciel de notre enfance

la campagne jamais endormie

dont tu étais l’enchanteur ?

 

Que redouterai-je alors ? Sinon

le silence de la mémoire

Quitter le secret de cette rencontre

l’odeur sucrée de notre exil

ta main brunie a éteint

sur mon front l’oeil du monde.

 

Laisser là soleil, vent et pluie

oeuvrer lentement à la destruction

ne plus rien connaître

être seul devant la nuit

qui veille.

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