Poésies Jean-Luc OTT
ENTRE L’X ET L’Y
EXTRAITS
I
Une étoile chaque nuit est dévorée de solitude
à la table lactée dressée pour la fête des rêveurs
L’orchestre fait silence le hall du ciel invite
et l’on se sent comme la musaraigne
dans la gueule d’un chat.
Rien ne bouge - tout enveloppe
La pensée s’arrête ou s’éveille en un éclair
de temps à la cavalcade des souvenirs
puis s’immobilise devant la noirceur de l’ennemi.
Quelque chose bouge plus gris que le noir
c’est l’instinct qui prend sa revanche tactile
Pas une nuit sans étoile Pas une vie sans espoir
La lumière remonte les flancs du corps
repeindre en clair les marges du cargo
qui entraîne avec sa guirlande de mouettes
scintillantes toute chose dans ses filets.
II
Vois-tu si les ans ont détruit ma nature creusé
des tranchées sur mes contours pour une guerre d’attente
coulé le sable l’eau le ciment sur un coeur incompris
et monté des blocs là où hier encore des champs
bleus et blonds ont connu l’éternité
Je n’ai pas poussé autre
Il reste en moi le creuset où se terre un mort
particulièrement inchangé qui pourrait parler
encore si je lui donnais la réplique
Pourquoi ne t’ai-je pas retenu à l’orée d’un monde
comme on fait d’un invité quand mon coeur
vacillait comme une flamme cherchant l’oxygène
et que mon corps devenait adulte
dans la souffrance de sa découverte
Je sais que tu ne demandes rien toi
qui peux tout recevoir sauf ce que nous avons été
car ta voix est inaudible dans le giron de mon chant
dont l’impuissance n’a d’égale
que l’immensité de l’univers.
IV
L’être aimé ne peut être que l’enfant des autres
ou alors il faut fermer sa porte et s’enfler
soi-même en contemplation s’emplir de sève
comme l’arbre en un principe vital en circuit fermé.
Une lueur claire d’interrogation emplit tes yeux
et leur donne une douceur surnaturelle
c’est la course d’un chevreuil par un matin glacé
tous naseaux ouverts - la beauté insaisissable
Puis la vague d’amertume me submerge
et me plonge dans une tristesse sans fond
il me faudra une patience insurmontable
pour qu’en rampant je parvienne à la rive
comme les premiers poissons du monde.
IX
A peine un duvet soyeux une corne
sur les doigts une ride à l’angle des yeux
n’altérant rien la pureté de la chose
Elle parvient au faîte des splendeurs
comme une victoire de Samothrace
parce qu’elle est ailée un sphinx
énigmatique dans l’allée du temps
humain mais immuable d’où n’émerge
qu’un silence sans fond
On voudrait que tu ne parles point
mais que tu bouges dans une danse
fabuleuse et lente que ton œil se mouille
pour rendre la vie palpable et le réel possible
C’est le regret à l’état pur le déchirement
du temps qui vient l’amer des sucs sauvages
Si la vie est inutile on sent désormais pourquoi
On croit pouvoir atteindre l’espace ouvert
sans y parvenir jamais
Ce n’est pas une fenêtre ouverte mais une alchimie
divine qui rend la vie si attachante.
XII
Ce trimestre volé au temps rappelle
les heures de plaisir usurpées dans notre jeunesse
impensables - tellement impensables
j’aurais voulu t’aimer des mille fois
j’avais tant de faim.
La beauté et la vie à portée sans peur
sans combattre une tessiture nouvelle est offerte
comme des fleurs de givre au jardin
Il ne peut plus s’agir de déchirement après tant d’années
Que puis-je faire d’autre sinon me replier
sous la couette pleine d’oiseaux endormis
Mon corps se refroidit lentement
comme un sable d’où s’est retiré le soleil
Y a t-il de la renonciation en cela ou de la lucidité ?
Mon chat aussi me guette plus vieux encore
son plaisir est immédiat il ne se bat
contre aucune illusion parfois seulement
en plein rêve ses pattes s’agitent
frétillent d’une première jeunesse
Son combat n’est plus de veille.
XV
Si j’étais peintre pas d’abstraction surtout
J’immobiliserais ton corps pour le regarder
en prenant tout mon temps
Plongerais mon regard bourreau dans tes yeux
confus pour chercher en eux les racines
qui t’irriguent et font naître ta pensée
que je saisirais tout entière
Je capterais ton âme à travers le pouls
de tes tempes et j’en bâtirais un pont neuf
pour enjamber les lieues qui nous séparent
à jamais de l’île où tu es
Tu me serais soumis un instant volontairement
quand chaque attitude est quelqu’un d’autre
mais je ne saurais pas te peindre bien sûr
et tu m’en voudrais de t’avoir mis à nu
Quand bien même j’aurais pu saisir
tout ce qui appartient à d’autres
je ne m’agripperais pas au désir que l’amour
implique mais longtemps j’en userais.
XVII
Le soleil de plomb comme un trépan
dessine un chagrin lancinant
implacable aussi comme une tumeur
qui prendrait des aises en pleins et déliés.
C’est l’été qui marque sa patte d’ardeur
et l’on sent la plainte des feuilles et le mûrissement
des fruits les bêtes aussi disparaissent
vers d’immobiles résignations
L’homme qui s’adresse à moi est d’une maigreur
d’adolescent cassable comme du verre
il parlait longuement mais n’entendait jamais
mes réponses C’est toujours la même chose
des échanges qui n’en sont pas.
Ta nature devient informe poussière quand
mon pied frappe le sol Je vois s’envoler
des particules de monde hier encore
je perdis le brillant de ton sourire
Quand sera broutée la dernière toison d’herbe
il se peut que je ne veuille plus me souvenir
alors il en sera fini de l’été.
XVIII
Les gros grains de chaleur tombent du ciel en feu
on sent l’été à plein poumon dans l’âcreté des herbes
Les pensées sont sans mot sans volonté
Rien ne verdit plus et les corps sont rendus à l’état de pierre
J’ai tenté de passer par les interstices des mauvaises
proses entre les lignes mal peignées rien n’accroche
ça manque de pattes qui pénètrent de mots qui serpentent
de notes qui conversent dans toutes les langues même
celles dépourvues de chanson comme les langues mortes
L’époque m’ignore.
Il y a toujours une raison pour faire de moi le superflu
du genre qu’on n’entend pas - son de chauve-souris
caquetant des silences. C’est l’anti pêche miraculeuse
les eaux vidées. Les grains sont des galets chauffés
à blanc plus secs encore que de coeur les mains pleines.
XIX
Désormais s’apaisent ici les longues routes
remisés les foins futurs mis en balle
dans les maisons fermées au vent
Désormais s’endort la passion
ne persiste que la douceur des lignes
familières que la mémoire nivelle encore
Quand une aile passe de nuit comme de jour
on entend la moire des joies l’élan plein de fraîcheur
renaître s’auréoler peut-être montrer qu’il fut
Il importe peu que tu demeures prisonnier d’un monde
insomniaque entouré de remparts insurmontables puisque
tu ne voudras pas même renoncer à ton sort.
XX
C’est l’heure chaude lorsqu’on ne sait plus rien
des pesanteurs depuis le poids des êtres
jusqu’au souvenir de la fraîcheur des bois
Et l’oiseau pique se faisant bloc depuis le ciel
blanc vibrant de toute son épaisseur en fusion
jusqu’au fond de l’eau Le corps en effusion
depuis l’heure de midi incapable de repos
intense dans l’agitation
Il fallut courir comme le messager d’autrefois
des distances folles pour un seul mot et perdre haleine
Enfin l’orage éclate enfin il pleut
dans un long continuo d’automne
la terre se gorge de sèves jusqu’à expirer
l’odeur de bois humides
Instantanément la gouttière rigole tout est lavé
et paraît plus clair dans la tête du dormeur
Il faut mettre à plat les désirs apaiser le souffle
régler sa respiration au bruit de la pluie
c’est vaincre la mort de l’été
quand tu ne viendras plus.
XXI
Venise étend ses canaux dans la chambre
aux Trois Maures où nous nous aimons
L’ocre et le brun de l’eau brillent
sur ta peau qui glisse sur moi
De savoir que le temps est compté
ne nous empêche pas de nous faire la guerre
une fois l’amour passé
Il paraît simple de s’aimer mais on s’égare
à Venise on y vieillit plus vite qu’ailleurs
Je voudrais dire quelque chose qui soit pour toi
Quand l’eau ressemble à la mer la mer au ciel
et ciel et mer à mon âme
j’erre comme un chien cherche un maître
Les quais disparaissent dans le brouillard
L’humidité est un monde à part
elle saisit l’être tout entier rampante jusqu’à l’âme
Se perdre seul ici c’est être rendu à l’infini.
XXIII
Tu ne m’as pas dit d’avancer
quand il y aurait ce vide
Tu n’as simplement plus paru
là où les feuilles ont gardé
le bruit de ta promesse
le souffle de ta paix
l’embrouille des mots.
J’ai su que l’abandon serait définitif
et qu’il me faudrait vivre en toute vraisemblance
selon les lois de la dureté d’aimer
et chacun est en mesure de dire la même chose
pour peu qu’un jour il a aimé
J’ai deviné seul que la nuit viendrait
et qu’il me faudrait rester seul devant elle.
XXV
L’espace si réduit entre deux âges trop longs
est d’importance puisque s’y établit comme la venue
d’oies sauvages près des étangs
D’un bout à l’autre l’arc-en-ciel englobe
toute la plaine jaune le ciel noir et la ligne
d’horizon en fuite vers un ailleurs perpétuel
Un seul été - Et le sommeil s’installe
quand il est devenu vain d’attendre
Je t’ai mis en châsse car je ne saurais vivre sans foi
Je ne me rencontrerais pas moi-même
chavirant au seuil d’autre chose
Il faudrait remonter si loin pour me contenter
de ce qui fut tien
Et pourtant quand je me retourne
je sais que tu es derrière moi comme le suaire
des rendez-vous manqués l’ombre saine
qui monte les fleurs en tige étire les dessins
des arbres vers le ciel devenu rose.
Voici le vent qui soulève et fait valser
les hauts peupliers les tourmente
comme une mer en furie devenue grise
les verts se lavent des poussières les pluies
rameutent les déchets innombrables de petits riens
vers les caniveaux
Je sais bien que tout est vain et que toute agitation
n’est pas payée en retour
Je suis sûr qu’un jour tu repasseras devant mes yeux
saturés de couleur quand je baisserai les paupières.
XXVI
Tout s’enroule en moi se replie
se préserve comme une mésopotamie
endormie entre deux fleuves
En écrivant cette phrase un jour
si banale en soi pas même prononcée
tu as fait dévier le cours de l’eau
Désorienté ébloui je n’ai su que me taire
Pourtant ces mots n’ont pu être écrits que pour moi
qui d’autre aurait pu être aimé de toi
en cet instant ?
Quel doute pouvait-il y avoir ?
Si je pouvais tout effacer de ce qui est advenu
et recommencer là sans malentendu
nous serions deux à vivre l’amour
même si l’éclat dut être celui
d’une flamme d’allumette.
XXVII
Il n’est pas possible d’être plus discret
puisque même ma volonté t’échappe
Le regard agaçant peut-être
Atteindrai-je la côte où il faudra mourir
avant que tu me reconnaisses ?
Par la faute du sort je marche d’un pas lourd
plombé d’incertitude – Je marche sous la mer
Mes regards sont des marées qui noient
s’auto-engloutissent mes mots sont tréfonds
merveilleusement calmes qu’immergent les eaux
puis les os sans clarté de quoi se composent les eaux
Les algues flottent ondulant comme des patineurs
collantes et fraîches elles ralentissent encore l’effort
Le courant est contraire les silences contrariants
mon souffle court vieillissant Rien n’aidera
le dit du poisson ma soif de parole
Les choses à moi s’accrochent comme certains êtres
enfants à l’état pur que je trimbale d’errance en errance
dans mon esprit lent – à faire la fête
lent au bonheur
Alors pourquoi tant de hâte à vouloir mourir ?
XXVIII
1. A toute époque il y eut d’autres mondes
possibles.
Je te le rappellerai et combien tu demeures
la permanence dans la jeunesse
la plus cruelle des illusions
Les ombres effilées du soir te dessinent
puis lentement te dissimulent
immatériel comme un jour qui va
encore et encore
3. Je te dirai – Alimente encore
ma bouche de mots à toi
plus vieux que livres saints
- Nourris ma chair d’amande
douce et d’onguent nocturne
Et je te dirai qui tu es
à ce jour dans l’enfantement de rêves
bâtis comme des voiliers géants
Et toujours ému comme le vent
frise la surface de l’eau
la chaleur ferait vibrer l’air épaissi
comme lorsque l’on croit vivre enfin
et que l’on marche sur les nuages
Mais tu ne répondrais rien
Et je te dirai encore …
4. Rien à faire ma tanière est pleine
de sons secs et creux
aux flancs de liège
Je n’attends rien
du temps qui vient
Il n’y a pas de pas dans mes pas
et le Jugement dernier est désormais si vieux
Très tôt muet même si battaient
mes tempes à ta voix d’au-delà des monts
plus loin que les étoiles les plus lointaines
plus froide que les Sibérie imaginaires
Quand même je rajeunirais ma foi
tu ne serais plus mystère
Tu serais perdu
et sans don pour réécrire l’histoire
On ne tresse des lauriers aux morts
que lorsqu’ils n’importunent plus.
5. Je sais que les nuits descendent sur nous
sur toi aussi quelque part
la nuit devient pleine
et le sommeil te gagnera
comme il a blanchi mes yeux
Toi qui étais la vie même
le souffle du vent la souris
qui détale dessous les feuilles
le tintement d’une source dans les veines
Et quelque part dans le monde inerte
des jeunes font l’amour à notre place
c’est juste – il n’arrivera
plus rien de grand
entre nous hors le silence
qui tout comblera.
6. Le chemin de terre est fixé par la mémoire
aussi cher qu’un être cher
La lumière devient pâle usée par le temps
Rien d’autre que des arbres qui furent verts
et un chemin caillouteux presque rectiligne
On ne distingue ni village ni clocher
ni maison cela pourrait être n’importe où
Rien d’autre ne se dégage de cette vue
Le feuillage qui vient de te recevoir
reste entrebâillé
On devine des chants d’oiseaux qui sont morts
un été
rien de plus.
XXIX
Je suis comme un végétal
sans conscience d’être
plus solitaire que les grands arbres
très solitaires
D’où que viennent les vents mes membres
ne bruissent pas de mille chants
les oiseaux me désertent et les sèves
qui circulent en moi ne sentent
ni la résine ni le miel
Je suis irresponsable comme le minéral
à la mémoire légendaire en un mot
je ne suis plus humain.
Je n’accepterai pas de voir
ce que nous sommes devenus
C’est donc ainsi que les granits
se taisent sous tes pas
On pourrait croire que l’homme
s’est habitué à la solitude
depuis qu’on la lui inflige
mais apprend-on jamais à souffrir ?
XXXII
Il trace ce qui doit être entre le réel
et l’imaginaire une ligne d’horizon qui plonge
au loin entre un vague ciel et une vague mer
Il n’y a rien au-delà d’un point de fuite
qu’une suite de froid et de terreur
devant l’abandon
Puisque tu ne laisses rien qu’un coeur
et ses redites
Comment peux-tu être de nulle part
comme ces échoués des quatre coins du monde
un jour venus un jour perdus
mais il y a une différence entre ne rien
laisser et ne rien vivre.
De toi j’ai tout en moi et toiletté
pour un apprêt d’enjolivement
et c’était déjà le sommet de la courbe sans qu’on sache
vraiment quand tout allait redescendre
tu peux vivre ton néant avec d’autres
un jour ou l’autre
sans même y consentir.
XXXIII
Il y avait là des étendues vertes des jardins
des passages d’oiseaux dans les patios du ciel
et des hommes capables d’autant d’amour
et de haine qu’aujourd’hui
Il y a des rencontres qui brûlent le temps
et consument l’âme.
Déjà des poèmes habiles voletaient comme papillons
de mai pour dire la beauté et le temps qui passe
les mêmes illusions déjà l’instant fugace
et pourfendre l’éternité réservée aux dieux
Mais qu’importent les dieux seul compte le chant
puisqu’il élève l’amour au-delà de l’entendement
humain du dessèchement qui desquame et laisse
les sables rougis dans le corps des hommes.
XXXIV
Qui sera gagnant ?
De toi gravé dans le grès de profil de face
et de travers lorsque tes yeux étaient plus riants
qu’un sortilège plus clairs que clarté
De moi l’obstination de l’insecte remis sur ses pattes.
J’aurai vécu cet instant
comme un don de toi éphémère
et exclusivement pour moi
Il fallut toute ma concentration toute ma soif
pour aspirer d’une seule gorgée ta vie entière.
Il se peut que l’on rencontre quelque part
de par le monde ce qui reste de toi
cette enveloppe usée de ta dernière existence
cela ne me concerne plus
Moi je chemine dans ton cocon originel
liquide amniotique dans lequel je me sens bien
et parfaitement comblé.
XXXV
L’orgueil n’est pas une réponse
pourtant il m’a tenu lieu d’armure mille ans
j’ai combattu sans cesse et sur tous les fronts
le silence coupable reste à vaincre dans la nuit
avec les mots à retardement pétrifiés de rage
je saurais le blesser et l’abattre.
Partir ne rien laisser derrière soi
ni succession ni trace comme mon père
et n’être rien soi-même nu dans la lumière du phare
Comme d’humaines méduses dans la Méditerranée
scintillante échouées le corps mou et froid plus gluant
qu’une salive blanche qui remonte à l’âme.
XXXVIII
Tu as posé un nid sur chacune de mes branches
pour que naissent les chants les plus beaux
pour moi seul
je suis béni
J’attends que viennent les vents
pour que ton haleine me sauve
encore d’entre les hommes
mangeurs d’oiseaux
J’ai des larmes plein mon chant
n’entends-tu pas l’hiver
aux bras dénudés répandre
par grands gestes son sel blanc ?
J’ai l’infinie patience des mondes engloutis
aux regards muets aux langues sans partage
et j’attends depuis
une nuit de temps.
XXXIX
Je croyais t’atteindre à travers mes vers
par la lenteur des mots et l’impitoyable des regrets
mais il n’est rien qu’étreigne encore ma volonté
J’ai posé ma tête dans ces bras endormis
pleine de paysages au naturel d’oiseaux
piaillant comme un jour de confinement
mais ces bras dormaient vraiment
et n’entendaient rien à la poésie
Il y a longtemps que tu es passé derrière le soleil
et que tu n’es plus une bouche à nourrir que tu vis
de tes propres phosphorescences dans ton monde à toi
désapprouvant toute requête et tout rappel du passé
et que mes mots qui te sont servis
se dessèchent au vent de ton silence.
XXXX
Je suis caché dans ton oubli
où tu ne risques pas de m’atteindre
et moi de troubler ta conscience
de rappeler les choses mortes
j’y suis enfermé à jamais.
Ecrire et aimer est un même langage
A quoi bon être lu par des voix étrangères
mêmes intérieures
alors qu’il y a un pacte entre nous
qui dit de laisser courir mon chant
pour tes oreilles de coquillage au fond de la mer.
Mon chant te cerne comme l’eau
te vivifie dans les remous incessants
du temps qui passe te comble
de silence où les mots amers
ne se disent inutiles qu’ils sont.
Il n’y a rien d’autre qui puisse me tenir éveillé.
XXXXII
La chaleur a une odeur douce de convoitise
comme à seize ans les aisselles salées
C’est l’odeur des impatiences
quand toute durée est permise
et qu’il faut attendre à satiété
Si dieu avait été matière il se serait glissé là
pour que je puisse le reconnaître
L’eau a lavé ton corps pour mon plaisir
des heures durant
De la gravière tu souriais
Tu me souriais
A qui d’autre aurais-tu souri ?
Et le bonheur était perché si haut
qu’aucun vertige n’eût pu l’atteindre
Confins de jeunesse et de lumière
Le parfum du soleil a l’odeur de la nudité
et de la désolation.
XXXXIII
S’il était besoin de finir ton voyage
pour être convaincu d’un deuil
je te donnerais le courage de faire des petits pas
vers moi ce que tu n’as jamais osé faire
tant nous ferraient les principes jamais discutés
jamais appris mais toujours sus par les doigts
par tous les pores les sucs et les cicatrices
les moins visibles
Pourtant tout était libre en toi comme les étoiles brillantes
d’un mois d’août assemblées où les choses sont dites
c’est l’espace du possible lorsque s’enfiévrait
en toi le fleuve endormi et déversait bienfaisant
ses marées chaudes jusqu’à mes pieds
Tant d’aisance me fascinait et libérait mon âme.
Change cette âme encore une fois en sa terre
de jeunesse pas besoin d’essayer de me plaire
tant d’efforts seraient inutiles
Modèle-la à ta façon Pétris Pétris
Acharne-toi sur elle
Fais-moi sentir la vie de tes mains encore une fois.
XXXXIV
L’odeur sucrée des acacias a laissé
la place à l’autorité pesante et entêtante
des tilleuls c’est le temps des fins de cours
et de ta rencontre d’été.
Sois tranquille jamais je ne dirai ton nom
comme ta jeunesse est préservée de toute usure
Tu peux mouiller tes promesses avec d’autres joies
perdre haleine au bout du monde
et donner à la terre entière ta lumière de juin
A tout instant tu peux revenir
Je me tiens prêt fidèle docile
comme l’ami le plus brave de l’homme
Alors je te laisserais enfouir
ta tête dans mon flanc
où la chaleur est la plus intense
mon sang est là qui bat des ailes
brûlant comme une forge
Quand tu fermeras les yeux
le temps interrompu jusqu’alors
reprendra sa course de jeune faon
jusqu’à perdre haleine
pour qu’ensemble
nous ayons une fin.
Strasbourg, 2020